De nouvelles approches pour étudier l’habitat du desman des Pyrénées

Présentation de la thèse d'Anaïs Charbonnel © Lysa Laviolle

Début juin, Anaïs Charbonnel a soutenu sa thèse intitulée "Influence multi-échelle des facteurs environnementaux dans la répartition du Desman des Pyrénées, Galemys pyrenaicus, en France". A l’aide d’un dispositif CIFRE, cette thèse s’est mise en place dans le cadre du Plan National d’Actions en faveur du Desman des Pyrénées, et en partenariat avec le Conservatoire d’Espaces Naturels de Midi-Pyrénées, le laboratoire Ecolab, l’université de Pau et des Pays de l’Adour et EDF. Ainsi, Anaïs a pu mener ses travaux de recherche tout en étant au contact des gestionnaires et des prospecteurs.

Anaïs Charbonnel avait déclaré au démarrage de sa thèse « c’est une expérience très enrichissante et le fait de pouvoir partager nos compétences complémentaires favorisera la mise en place de mesures de gestion adéquates pour le Desman ». A noter qu’aucune étude sur les exigences écologiques de l’espèce n’avait été réalisée en France, ce qui constituait un frein majeur pour sa gestion et sa conservation.

Grâce à ce partenariat entre chercheurs et gestionnaires, plus de 1400 tronçons de cours d’eau de 500 m, sélectionnés de manière aléatoire sur l’ensemble du réseau hydrographique des Pyrénées françaises, ont pu être prospectés minutieusement entre 2011 et 2013. Durant ces prospections, les observateurs ont indiqué s’ils avaient détecté ou non des crottes de desman et ont décrit les caractéristiques locales de l’habitat au niveau du lit mineur, des berges et du lit majeur. Certaines crottes ont été prélevées et analysées génétiquement par François Gillet dans le cadre de son travail de thèse. Cela a ainsi permis de valider ou non la présence du desman, et d’éviter d’éventuelles confusions avec d’autres espèces, comme le crossope aquatique.

Le premier volet de la thèse d’Anaïs a consisté à étudier la détectabilité du desman des Pyrénées, un aspect capital à prendre en compte. En effet, le problème des « fausses absences » est récurrent lors du suivi d’espèces difficilement observables et il peut altérer la compréhension des exigences écologiques et l’estimation de la distribution des espèces. Ce problème peut être corrigé grâce à des protocoles d’échantillonnage visant à obtenir des réplicas temporels (tronçons visités plusieurs fois dans le temps) ou spatiaux (comme c’est le cas ici : tronçons découpés en 5 sections de 100 m). En utilisant ces deux types de réplicas, Anaïs a pu montrer que la détectabilité des crottes de desman est forte et qu’elle peut être estimée en utilisant les réplicas spatiaux, disponibles pour chacun des tronçons. A l’aide de modèles statistiques, elle a ainsi pu étudier les facteurs influençant la présence et la détection du desman à différentes échelles spatiales.

A l’échelle du bassin-versant du Haut-Salat (Ariège), l’influence de variables climatiques (précipitations et températures), hydrographiques (sous-bassins versants, affluents) et hydrologiques (débit moyen annuel, variabilité du débit) sur la répartition spatiale du desman a été testée. Les données de débit des cours d’eau n’étant pas disponibles sur l’ensemble du réseau hydrographique, Anaïs a réussi à le prendre en compte à l’aide d’un modèle hydrologique qui a permis de simuler le débit de manière fiable et précise. Les résultats montrent que la détectabilité des crottes de desman est influencée négativement par la variabilité inter-mensuelle du débit et qu’elle augmente avec l’hétérogénéité des substrats et abris du lit mineur. Aussi, la distribution du desman semble spatialement structurée par les sous bassin-versants et influencée positivement par le débit moyen annuel de chaque cours d’eau.

A l’échelle des Pyrénées françaises, la détectabilité des crottes de desman s’avère également forte mais spatialement hétérogène. Les secteurs où la détectabilité est la plus faible sont caractérisés par un faible couvert forestier, de fortes précipitations moyennes annuelles et/ou une forte variabilité inter-mensuelle de débit, ce qui correspond à des secteurs majoritairement localisés aux extrémités est et ouest des Pyrénées et en haute altitude. D’un point de vue appliqué, Anaïs recommande d’intensifier l’effort de prospection dans ces secteurs à faible détectabilité pour valider l’absence réelle de l’espèce. La carte de distribution du desman obtenue permet aussi d’identifier les zones à forts enjeux de conservation. Un gradient est-ouest a ainsi été mis en évidence avec des probabilités de présence fortes plus nombreuses à l’est. Le climat et l’hydrologie influencent fortement la distribution de l’espèce contrairement à l’occupation du sol qui semble présenter un effet négligeable.

Egalement, à une échelle spatiale plus fine (tronçon de la rivière), la présence du desman semble majoritairement influencée par les caractéristiques du lit mineur et des berges, et peu marquée par celles du lit majeur. Une préférence pour des tronçons de cours d’eau présentant une forte diversité en substrat et en abris, des faciès d’écoulement rapides et hétérogènes et peu de sédiments fins dans le lit mineur, ainsi que des berges avec beaucoup de roches mais peu de terre a été mis en évidence. Une variabilité dans les préférences d’habitat ressort cependant entre les trois grandes régions hydro-géographiques des Pyrénées, ce qui pourrait être le résultat d’une différenciation génétique, rejoignant alors les résultats issus de la thèse de  François Gillet.

Enfin, les changements de distribution du desman en France au cours des 25 dernières années ont été quantifiés et mis en relation avec les changements climatiques, hydrologiques et d’occupation du sol. Les facteurs climatiques et hydrologiques se sont également avérés être les plus influents et ce pour les deux périodes de temps (1985-1992 et 2011-2013). Une régression marquée de l’espèce a été mise en évidence, surtout à l’ouest du massif, mais les changements climatiques, hydrologiques et d’occupation du sol ne sont pas suffisants pour expliquer cette contraction. D’autres facteurs y ont donc contribués et doivent être identifiés au plus vite.

L’ensemble de ces résultats va servir de support à la mise en place de mesures de gestion et d’outils concrets pour la prise en compte de l’espèce par les activités humaines modifiant la qualité du milieu aquatique.

Cette thèse a bénéficié du soutien financier de l’ANRT (Cifre), la Commission Européenne, l’Etat, EDF, les conseils régionaux d’Aquitaine, de Midi-Pyrénées et de Lanquedoc-Roussillon, les conseils généraux des Pyrénées-atlantiques, de l’Aude, des Pyrénées-orientales, l’Agence de l’eau Adour-Garonne, la SHEM et de Patagonia.

 

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